(Les informations de cet article datent d’octobre 2020)
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Cette photo fut à l’époque beaucoup médiatisée. En avril 2017, pour la 1re fois, un train de marchandises relie Londres à Yiwu, en Chine. Un voyage de 12 000 km en 3 semaines et le message de Pékin : le projet des nouvelles routes de la soie, outre les infrastructures de transport, les crédits, le business, c’est aussi un nouveau type de relations internationales qui passe par le développement des échanges entre les hommes et doit profiter au monde entier.

Faisons un état des lieux du projet chinois des routes de la soie, qui va bien au-delà de l’objectif premier de connecter l’Asie à l’Europe. Aujourd’hui, Pékin fait des deals avec le monde entier. Du rachat du port d’Athènes au métro éthiopien d’Addis-Abeba, la Chine place des pions sur tous les continents avec un objectif : réinventer une nouvelle forme de mondialisation où Pékin est au centre et impose son modèle. Mais ce projet a aussi ses limites. Sans plus attendre, commençons à nous déplacer sur le grand Monopoly de Xi Jinping.
Les nouvelles routes de la soie revendiquent l’héritage historique des anciennes voies commerciales qui, dès le 2e millénaire avant notre ère, partaient de l’empire du Milieu vers l’Orient et l’Europe pour acheminer les trésors chinois, dont la soie. Traduit en anglais par « Belt and Road Initiative », ce projet est donc un ambitieux programme de modernisation des infrastructures existantes, routières et ferroviaires, à travers l’Asie Centrale, la Russie et le Moyen-Orient.

Ces dernières années, des liaisons ferroviaires hebdomadaires relient la Chine à l’Europe jusqu’à la Grande-Bretagne, de Wuhan à Londres en passant par Duisbourg. Le trajet dure 15 jours, soit moitié moins que par la mer.
Ces routes est-ouest permettent à la Chine de commercialiser ses productions et d’implanter le long de leurs tracés d’importantes infrastructures industrielles et de centrales énergétiques.

Par exemple, la ville de Khorgos, à la frontière sino-kazakhe, inclut un port sec intégré et une zone économique spéciale.

L’implantation de ces infrastructures est souvent une des conditions de la rénovation des voies de transport. Elle ouvre à la Chine de nouveaux débouchés pour ses énormes capacités de production que ne lui offre plus son marché intérieur, notamment pour l’acier, le ciment ou l’aluminium.
Cette stratégie, le gouvernement de Xi Jinping ne l’applique pas qu’à l’axe est-ouest. Il l’applique également en Asie, ce qu’on va voir maintenant.

Au Pakistan, la modernisation de la Karakoram Highway, qui culmine à 4 800 m, s’accompagne d’implantations de centrales électriques et d’un projet de voie ferrée. Dans ce couloir sino-pakistanais qui relie la ville de Kashgar, dans la province du Xinjiang, au port de Gwadar, au Pakistan, l’enjeu est de renforcer la coopération sino-pakistanaise dans les domaines clés du transport et de l’énergie, et d’offrir à la Chine un accès sur la mer d’Arabie.

L’amélioration de la connectivité entre les routes maritimes, sur lesquelles nous reviendrons, et la Chine, justifie également les travaux entrepris au sein des deux autres couloirs terrestres de la région : celui qui doit relier le Yunnan à Singapour à travers le Laos, la Thaïlande et la Malaisie, et celui qui doit relier la ville de Kunming au port birman de Kyaukpyu sur le golfe du Bengale.
Une voie ferrée devrait s’ajouter aux oléoducs et aux gazoducs en service entre les deux villes depuis 2013. Ces équipements permettent d’acheminer près de 22 millions de barils de pétrole et 12 milliards de mètres cubes de gaz par an vers la Chine.

Europe, Asie, le grand projet chinois des routes de la soie se développe de la même manière en Afrique, on va le voir maintenant.
Riche en matières premières, le continent africain intéresse grandement Pékin qui investit massivement dans certains pays, et construit des voies ferrées, notamment entre Djibouti et Addis-Abeba et entre Mombassa et Nairobi.

Nous venons de voir le volet investissement terrestre des routes de la soie. Nous allons voir à présent comment cette stratégie de contrôle par l’investissement s’applique aussi le long des routes maritimes.
C’est notamment le cas le long de la principale route entre la Chine et l’Europe, qui traverse l’océan Indien, la mer Rouge et la mer Méditerranée. Pékin a pris des intérêts importants dans les infrastructures portuaires par le biais des sociétés China Merchants Group et Cosco.

En Europe, on se souvient de l’émotion provoquée par l’acquisition via Cosco de 51% des parts du port grec du Pirée, en 2016. Une opération financière colossale : 368 millions d’euros qui permettaient à l’époque à Athènes d’éponger sa dette publique. Le Pirée qui n’est pas le seul port européen, désormais, administré par la Chine. Bilbao, Valence, Savone, Zeebruges, sont aussi sous le contrôle de Cosco.

Le long des autres axes maritimes, Pékin n’est pas en reste. Notamment le long des côtes de l’océan Pacifique. Pékin a investi dans plusieurs pays considérés comme le jardin des États-Unis, et prend peu à peu le contrôle de ports importants, comme celui de Chancay au Pérou.

Et puis, fonte des glaces aidant, Xi Jinping table également sur l’ouverture de la voie arctique. Permettant de gagner jusqu’à 40% de temps de trajet, cette route n’est encore accessible que quelques mois de l’année. Pékin investit déjà au Groenland, dont la position deviendrait stratégique sur ce nouvel axe.

Il apparaît d’après les données que l’on est bien loin, désormais, des anciennes routes de la soie. L’Afrique et l’Amérique latine, d’abord marginales dans le projet, tiennent aujourd’hui une place importante dans le Monopoly chinois qui se joue désormais à l’échelle de l’ensemble du monde.

À ces projets matériels des routes de la soie, les chemins de fer, les ports, les canaux et autres infrastructures, s’ajoute la coopération immatérielle avec notamment ce qu’on appelle le « soft power », dont on parlera. On va d’abord s’intéresser au volet financier des routes de la soie qui placent, de fait, sous dépendance chinoise ces pays qui bénéficient des crédits de Pékin.
Aujourd’hui, ils sont 138 pays à avoir rejoint les nouvelles routes de la soie via divers accords bilatéraux. Les fonds nécessaires à la mise en oeuvre du grand projet chinois donnent le vertige. Officiellement, la Chine compte y investir plus de 1 000 milliards de dollars sur 10 ans.
Mais ces financements se font par le biais de prêts et non pas de dons. Or les prêts octroyés par la Chine, à travers les banques chinoises, mettent les pays contractants dans une relation de dépendance à l’égard de la Chine, ce qui pousse à relativiser la philosophie gagnant-gagnant mise en avant par Xi Jinping.

Ainsi, la Thaïlande, en 2016, a renoncé à l’offre chinoise de financement de la voie ferrée reliant sa frontière nord-est à Bangkok, le deal étant jugé trop défavorable aux Thaïlandais. De même, la Tanzanie bloque depuis 2 ans les travaux du port de Bagamoyo. Elle a dressé un ultimatum à Pékin lui intimant d’accepter ses conditions ou de quitter le pays.


D’autres critiques sont formulées : le fait que le recours fréquent à de la main-d’oeuvre chinoise importée limite les créations d’emplois locales. Un argument valable au Pakistan où, dans le port de Gwadar, la moitié de la main-d’oeuvre était chinoise. Mais pas en Ethiopie où la Chine a employé 5 000 ouvriers éthiopiens pour la construction de la voie ferrée reliant Addis-Abeba à Djibouti.

On reproche également à la Chine d’avoir imposé certains projets surdimensionnés ou sans pertinence pour les pays concernés. C’est le cas de la voie express Kampala-Antebbe en Ouganda, dont les 500 millions de dollars auraient sans doute pu être utilisés de manière plus utile à l’économie locale. Ou encore la voie ferrée traversant le Laos, dont la construction aurait coûté 6 milliards de dollars, soit plus du tiers du PIB du pays, alors que, très probablement, y transiteront essentiellement des matières premières à destination de la Chine.


Et sur le volet environnemental, les tracés des nouvelles routes de la soie affecteraient 265 espèces menacées comme les antilopes, les tigres et les pandas géants.
Les centrales hydroélectriques, comme sur le Mékong, entraîneraient des dommages inestimables pour les ressources halieutiques. Sans parler des projets de déforestation, comme à Bornéo, qui entraîneraient des risques de glissements de terrains et inondations notamment.
Selon l’Institute of International Finance, 85% des projets des routes de la soie sont à l’origine de fortes émissions de gaz à effet de serre.

Alors, pour redorer son blason, la Chine a recours à des actions qui relèvent du « soft power » : en Europe, la Chine implante dans de nombreux pays des centres Confucius qui diffusent la langue et la culture chinoise. La Chine a aussi investi dans des équipes de football.


La Chine est de plus en plus présente dans les organisations internationales comme l’Organisation Mondiale de la Santé dont elle pourrait devenir le premier État contributeur si les États-Unis confirmaient le retrait voulu par Donald Trump. (Les informations de cet article datent d’octobre 2020)

Voilà pour cet état des lieux des routes de la soie, projet phare de la Chine du XXIe siècle qui place ses pions sur tous les continents et dans tous les domaines. Sauf qu’aujourd’hui, Xi Jinping rencontre des difficultés. Pékin, pour la 1re fois depuis des décennies, a renoncé à se fixer un objectif de croissance en 2020, reconnaissant que le redémarrage de son économie après la crise du coronavirus sera un processus lent et difficile.
Pour cet article, on s’est appuyé sur cet ouvrage dirigé par F. Lasserre: Les Nouvelles Routes de la Soie. (Disponible dans la bibliothèque de ce site).
Merci et bonne recherche!