Merci de vous retrouver sur cette page pour cet article concernant la démocratie. Démarrons avec cette image du 1er mars 2022, les eurodéputés n’oublieront pas l’intervention poignante en visioconférence de Volodymyr Zelensky le dirigeant ukrainien rappelant aux européens quelques jours après le début de l’offensive russe sur l’Ukraine qu’il s’agissait d’une guerre pour défendre la démocratie, le droit, les libertés, une guerre qui par conséquent devrait concerner est impliquer le monde entier.

Alors bien sûr avant que ne démarre cette guerre, on ne pouvait pas dire de la démocratie ukrainienne qu’elle était une démocratie parfaite à cause du maintien de certaines élites de l’ancien régime et de la corruption mais cette démocratie ukrainienne en devenir constituait déjà malgré tout un modèle alternatif précieux aux portes de la russie autocratique de Vladimir Poutine.
Alors précisément, on a voulu tenter un état des lieux de la démocratie dans le monde: face aux autocrates que pèsent les démocrates? pourquoi l’enjeu démocratique est il un enjeu crucial du monde qui vient ?
Sortons nos cartes …
En 2021 dans le monde selon the Economist Intelligence Unit on recense:
- 21 démocratie véritable: Canada Islande Norvège Suède ou Finlande.
- 53 démocraties défectueuses. Cette catégorie englobant des pays très différents, certains habituellement considérés comme véritablement démocratiques exemple le Portugal pénalisé par son faible taux d’adhésion à des partis (syndicats ou associations) ou encore par son fort taux d’abstention aux élections. Cette catégorie comprend aussi à l’autre bout du spectre des pays tels la Hongrie avec la démocratie illibérale de Viktor Orban qui impose un renforcement de l’état et une diminution des libertés.
- 34 trente quatre régimes dits hybrides qui partagent certaines caractéristiques avec les démocraties comme les élections mais bafouent l’état de droit et les libertés individuelles.
- 59 régimes autoritaires parmi lesquels la Russie où il n’y a pas d’opposition et où Vladimir Poutine a fait changer la constitution de façon à pouvoir se maintenir au pouvoir jusqu’en 2036. Depuis la guerre en ukraine, le terme de dictature est de nouveau utilisé pour qualifier l’état poutinien.
L’évolution de ces chiffres montre un vrai recul de la démocratie. Ainsi nous sommes passés de 8,4% de la population mondiale vivant dans des démocraties véritable en 2020 à 6,4% seulement 2021 est. Désormais 54,3 % de la population mondiale soit plus de la moitié de l’humanité vit dans des régimes autoritaires ou hybrides.
Nous vivons donc un moment de vulnérabilité démocratique après plusieurs décennies d’ascension de ce modèle. En effet, en remontant à la seconde guerre mondiale, on voit que celle ci marque en occident la victoire des démocraties contre le nazisme, un élan qui se poursuit dans la seconde moitié du 20e siècle d’abord en europe, Portugal et Grèce Espagne, les régimes autoritaires s’effondrent laissant place à des démocraties. Ensuite en Amérique du Sud, Argentine, Uruguay, Brésil puis en Asie, Philippines, Corée du Sud. Le modèle démocratique semble triompher entre 1988 et 1991 avec la fin de l’URSS: la constitution de nouveaux états en europe centrale et orientale qui adoptent pour la plupart les valeurs démocratiques de l’Union Européenne.
Toutefois les interventions américaines en 2001 en Afghanistan et en 2003 en Irak vont marquer l’échec de l’implantation de la démocratie par la force.
Autre désillusion démocratique: les printemps arabes. Si la chute de certains dictateurs tels Ben Ali en Tunisie, Kadhafi en Libye ou Moubarak en Egypte créé dans un premier temps l’espoir d’un événement démocratique, celui ci va être brisé par l’évolution politique de la région y compris en Tunisie après une première phase prometteuse de démocratisation.
Ce début de XXIème siècle marque donc l’arrêt de l’expansion des démocraties trente ans après leur triomphe marquée par la chute du mur de Berlin. Elles sont même dans une situation périlleuse d’une part à l’extérieur les tensions avec les régimes autoritaires ne sont pas sans rappeler la guerre froide, d’autre part le démocratie subissent des tensions intérieures et c’est ce qu’on va voir maintenant.
Car les démocraties sont par essence ouvertes à la contradiction, du coup elles peuvent être l’objet de critiques et de faiblesses. A cela s’ajoute le fait que les démocraties occidentales ont été fragilisées par un double mouvement de mondialisation et de désindustrialisation générateur d’un sentiment de déclin et de défiance populaire.
Regardez en France cette carte de 2013 qui présente un indice d’inégalités élaborée à partir de données compilant à parts égales chômage, pauvreté, absence de diplôme et familles monoparentales:

Regardez! Les zones en plus grande difficulé correspondent à celles du vote FN lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2012.
Toujours en France, la défiance des peuples se manifeste aussi par l’abstention, laquelle contribue à fragiliser la démocratie.
En juin 2021, l’abstention lors des élections régionales atteint plus de 65%. A cela s’ajoute un sondage réalisé en octobre 2021 dans lequel 72% des français estiment que leur opinion n’est pas pris en compte par les dirigeants politiques. Ainsi, le mouvement des gilets jaunes en avait déjà été une illustration. La montée des extrêmes lors de l’élection présidentielle de 2022 en est une autre.

Cette radicalisation du débat public entraîne une légitimation croissante de la violence comme expression politique.
Le point culminant de cette violence à lui aux états unis avec l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump qui contestent l’élection de Joe Biden provoquant la mort de cinq personnes.
Les démocraties sont également menacées de l’intérieur par un risque de morcellement qui peut être le fait de mouvements séparatistes, d’ennemitié entre communautés religieuses ou de tensions autour de revendications communautaristes. Ainsi en Espagne, la volonté de sécession de la région catalogne a créé une crise institutionnelle autour de la question de la légalité d’un référendum d’autodétermination sans l’accord du reste du pays.
Evoquons maintenant un autre risque pour les démocraties: les circonstances exceptionnelles. Ainsi les attentats terroristes comme en France en 2015 ou plus récemment l’épidémie du Covid 19 dans le monde.
Dans ces situations, les gouvernements font face à une tension entre une demande impérieuse de sécurité et le respect des libertés. Une pandémie qui a aussi montré la rapidité avec laquelle les fake news et les théories complotistes se propagent par les réseaux sociaux, un phénomène d’autant plus inquiétant que ces réseaux sont une importante source d’information. Ainsi dans des pays comme le Chili, l’Argentine, la Grèce ou la Bulgarie, plus de 65 % des adultes s’informent sur ces réseaux.
Pourtant il existe un exemple positif d’intégration du numérique dans la vie démocratique, c’est celui de Taïwan. En effet, les 23,5 millions d’habitants peuvent interagir avec le gouvernement et l’administration par l’intermédiaire d’un portail officiel mis en place par le National Development Council non seulement pour les démarches administratives mais aussi pour se renseigner ou réagir à propos des lois en discussion ou en application et la gestion de la pandémie avec ces outils est souvent mise en avant comme un exemple de collaboration entre le gouvernement et la population. Malgré les lourdes menaces que la Chine fait peser sur l’île c’est un véritable laboratoire de la démocratie directe.
Regardons à présent les tensions externes: des tensions entre démocratie et régimes autoritaires qui ne sont pas sans rappeler la guerre froide. Toutefois il existe une différence majeure avec cette période à quelques exceptions près: ces nouveaux régimes autoritaires entendent participer à la mondialisation économique. Le meilleur exemple est celui de la Chine dont la montée en puissance a été accélérée par son entrée le 11 décembre 2001 dans l’Organisation Mondiale du Commerce.
Avec la Chine, le dogme occidental selon lequel la mondialisation économique conduite in fine à la mondialisation du modèle démocratique trouve ses limites. Le régime chinois reposant sur un parti unique, une absence de contre-pouvoir, une presse de propagande, des arrestations arbitraires et des camps de concentration pour les minorité ouïghoures. Par ailleurs, depuis 2013 et le lancement des nouvelles routes de la soie, la chine essaie aussi de diffuser ses valeurs notamment en Europe de l’Est.
Sur un plan économique tout d’abord, sa main mise passe bien sûr par les investissements dans les infrastructures mais la Chine détient aussi une bonne part de la dette de ces pays avec en 2018 20 % de celle de la Macédoine du Nord et 40 % de celle du Monténégro.
Sur un plan politique, Pékin met aussi en avant l’inefficacité de la démocratie européenne à ses yeux et la force de son modèle autoritaire censé assurer ordre et prospérité.
Par ailleurs, le 21e siècle offre aux régimes autoritaires une nouvelle arme: les nouvelles technologies. Grâce à elles, il est plus facile que jamais de s’immiscer dans les affaires des démocraties qui sont par nature plus ouvertes, de les espionner, d’en perturber le fonctionnement par le piratage informatique ou la production massive de fausses informations. Ainsi, selon le ‘Digital Defence Report’ entre juillet 2020 et juin 2021, parmi toutes les cyber attaques liées à des états, 58 % provenaient de la Russie et de fait, en février 2022 l’Ukraine a accusé la Russie de cyber attaques contre des sites militaires officielles et deux banques publics, celles ci ont eu lieu avant l’invasion russe.
Arrêtons-nous d’ailleurs pour terminer sur cette guerre toujours en cours depuis fin février 2022 et qui se joue aussi sur la défense de la démocratie et du respect du droit international.
L’assemblée générale de l’ONU a adopté le 2 mars 2022 une résolution pour sanctionner le recours à la force de la Russie contre l’Ukraine, résolution approuvée massivement par 141 pays, les cinq qui se sont opposées sont la Russie la Biélorussie la Corée du Nord l’Erythrée et la Syrie soit 5 dictatures, trente cinq se sont abstenus dont la Chine et l’on retrouve parmi ces abstentionnistes un certain nombre de régimes que notre carte de départ ne rangeait pas dans la catégorie des démocraties.
On l’aura compris, dans le monde des années 2020 la démocratie est menacée par des régimes autocratiques qui diffusent leurs modèles par tous les moyens militaires économiques numériques.
La guerre en Ukraine a réveillé les démocraties occidentales, dirigeants et nous autres citoyens qui avons parfois tendance à oublier ce que rappelait si bien l’ex-président tchécoslovaque Vaclav Havel dans son discours à la nation le 1er janvier 1990:
« Le meilleur gouvernement, le meilleur parlement et le meilleur président ne peuvent pas à eux seuls faire grand chose. La liberté, la démocratie, cela signifie d’abord et avant tout la participation et la responsabilité de tous »
Vous trouverez de nombreuses publications consacrées aux nouvelles pratiques démocratiques sur le site des chercheurs du think tank Terra Nova (tnova.fr)